Imam de l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina (AEEMB) et du Cercle d’étude, de recherche et de formation islamiques (CERFI), Ismaël Tiendrebeogo parle sans tabou de la santé sexuelle et reproductive. Auteur du livre «La sexualité du couple», il aborde ici, entre autres, la planification familiale et la position de l’islam sur les méthodes modernes de contraception.

Sidwaya (S) : Quelle est la position de l’islam sur la planification familiale ?

Ismaël TiendrÉbeogo (I. T.) : L’islam permet la Planification familiale (PF) aux fins d’espacement des naissances. Par exemple, le Coran indique que l’allaitement complet dure deux ans pour qui veut le parfaire. Et nous savons que l’allaitement exclusif est un moyen contraceptif naturel même s’il a ses limites. Or si l’allaitement dure deux ans et la grossesse neuf mois, théoriquement entre deux enfants, il y a un espacement de trois ans environ. Au temps du prophète, les musulmans pratiquaient le coït interrompu (azl, en arabe) pour éviter des naissances trop rapprochées et pour ne pas fatiguer l’épouse par ces naissances rapprochées. Cependant, lorsque la planification signifie limitation des naissances, l’islam n’y souscrit pas, il s’y oppose.

S. : Selon l’islam, qu’est-ce qui peut expliquer le recours à la planification familiale ?

I. T. : L’espacement des naissances est pratiqué en islam pour le bien-être de la femme. Dieu nous dit ceci : «Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction. Et faites le bien. Car Allah aime les bienfaisants». Et le Prophète a renchéri pour dire qu’«Il ne faut pas se faire du tort, ni faire du tort». Pour cela, on ne doit pas faire quelque chose qui peut nuire à sa santé. Même pour ce qui est de la prière, le Prophète dit d’adorer Dieu autant que l’on peut, sans aller au-delà de nos limites objectives. En effet, trois personnes sont allées dans la famille du Prophète s’enquérir de sa vie. On leur a répondu que le Prophète priait une partie de la nuit, en dormait l’autre, jeûnait des jours, rompait en d’autres et honorait son épouse. Les trois se sont dit : «Qui sommes-nous pour nous contenter de ce qu’il fait ? Nous allons faire plus». L’une d’elle a dit qu’elle allait consacrer toutes ses nuits à la prière, l’autre, toute sa vie au jeûne, et la troisième a promis de se faire moine et consacrer tout son temps à l’adoration de Dieu. Le prophète leur a fait savoir que parmi elles toutes, il est celui qui craint le plus Dieu mais il ne se consacre ni au jeûne perpétuel ni à la vie moniale ni ne passe toutes ses nuits en prière, car, leur a-t-il dit, «le corps de chacun de vous a des droits sur lui». On doit donc le ménager et ne pas l’abîmer indûment.

S. : Faut-il croire que la femme est uniquement créée pour procréer ?

I.T. : Mais non ! Si tel avait été le cas, il n’y aurait pas eu la contraception dès le début de l’islam. Vous savez sans doute, qu’avant l’islam, les arabes enterraient vives leurs filles parce qu’ils ne les considéraient pas, ils en avaient honte. C’est l’islam qui a arrêté cet acte barbare et fait de l’homme et la femme des êtres égaux dans leurs responsabilités et dans leur place vis-à-vis de Dieu. Il dit : «Je ne fais point perdre le travail de quiconque agit parmi vous, qu’il soit homme ou femme, l’un de vous venant de l’autre» (3:194).

S. : Quel est le rôle de l’homme dans la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ?

I. T. : Le hadith dit : «vous êtes tous des bergers. L’homme est berger de sa famille, la femme de la maisonnée, l’Imam et le gouverneur sont des bergers de ceux qu’ils dirigent et chacun de vous rendra compte de sa bergerie». Ce sont des responsabilités que chacun devrait assumer et rendre compte le jour de la résurrection. De plus, le Prophète a dit qu’il ne fait pas partie de nous celui qui n’a pas pitié du plus faible et ne l’assiste pas.

S. : D’aucuns pensent que les hommes ne soutiennent pas assez leurs femmes. Par exemple, les accompagner à l’hôpital pour ses consultations prénatales?

I. T. : C’est le minimum qu’on s’intéresse à la santé de son épouse, elle porte la grossesse, elle supportent ce que l’homme ne supporte pas. Elle met en jeu sa vie. Celui qui n’a pas pitié de la femme enceinte, de l’enfant, de la personne âgée, du plus faible en général, le Prophète dit qu’il n’est pas musulman. Le Prophète, quand il était invité, sortait accompagné de sa femme. Donc, le musulman doit montrer son amour à sa femme et la soutenir, surtout quand elle est enceinte.

S. : Qu’est-ce qui explique la méfiance de certains leaders musulmans à parler de la PF ?

I.T. : La méfiance vis-à-vis de la PF est liée au niveau des connaissances de tout un chacun dans sa foi et de la vie. Sinon le Prophète en a parlé, le Coran aussi. Il n’y a donc aucune raison que le musulman se méfie de la PF, telle que je l’ai précisée. Il faut aussi savoir que le début de la planification familiale a coïncidé avec ce que l’on appelle l’eugénisme, qui avait trait et retenait les individus les plus aptes à se développer, à réussir dans la vie et laissait les inadaptés sociaux à qui on interdisait la procréation. Il y a eu aussi comme autre élément le malthusianisme, pour lequel, c’est parce que les pauvres profitent de la solidarité, qu’ils n’ont pas une procréation responsable. «Au grand banquet de la nature, disait-il, il n’y a point de couvert» mis pour celui dont les parents ne peuvent s’occuper ou dont la société n’a pas besoin de travail. Il doit partir, dit-il. C’est violent et la foi ne permet pas cette exclusion basée par les moyens des géniteurs. Cela pose problème aux musulmans dans la mesure où la solidarité doit être inhérente à tout groupe et l’entraide doit être de mise. L’enfant de X ne va pas servir uniquement son père, il va servir aussi la société. L’éducation de l’enfant repose d’abord sur ses parents mais aussi sur la société.

S. : Pourquoi ceux qui prêchent en faveur de la PF du développement ont des difficultés à faire passer le message ?

I. T. : Si vous envisagez la PF comme limitation des naissances, le message ne passera pas. Mais à l’espacement des naissances, les musulmans adhèrent. Dans beaucoup de familles musulmanes, entre les enfants, l’espacement est de 3 à 4 ans.

S. : En Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie, des régions fortement islamisées, la pratique de la PF est largement répandue, pourquoi tel n’est pas le cas en Afrique au Sud du Sahara ?

I. T. : La différence, est le niveau d’instruction et de connaissance de l’islam avec l’Afrique noire et notre syncrétisme qui mélange tout. Mais même là-bas, c’est l’espacement qui est permis. Si vous parlez de limitation, beaucoup de musulmans ne vous écouteront pas.

En outre, actuellement, le discours est maquillé mais je crois qu’il tend plus vers la PF-limitation parce qu’on met tout le temps une corrélation entre la population, son taux de croissance et les ressources disponibles ou le niveau de développement. Pour moi, le vrai problème, c’est l’absence de redistribution des richesses, sa trop forte concentration entre les mains de quelques individus au détriment du plus grand nombre. Il faut déjà corriger cette injustice. Jouer sur la natalité peut se révéler dangereux car les changements de mentalités sont souvent irréversibles. Vous avez beaucoup de pays où le taux de natalité est bas et ils font tout pour le remonter. Le Danemark a, semble-t-il, inventé le sexe patriotique pour obtenir, selon les spécialistes, le taux minimum de 2.1 enfants par femme nécessaire pour renouveler sa population, comme y est confrontée l’Allemagne.

S. : Que dit l’islam par rapport à l’utilisation de la contraception. Est-ce qu’il y a une jurisprudence en la matière ?

I. T. : Le coït interrompu, qui est une méthode exigeante avec son taux d’efficacité et d’inefficacité, a été utilisée dès les premières heures de l’islam sans être interdit. On en déduit que l’usage de la contraception est licite en islam. Mais il y a des méthodes réversibles et irréversibles. Les méthodes irréversibles, comme la ligature des trompes par exemple, sont interdites par le Prophète, qui a interdit al-ikhtisâ, sauf lorsqu’il est avéré que la vie de la femme est menacée, sinon, non.

Parmi les méthodes réversibles, on regarde aussi le degré de nocivité d’une méthode avant de l’admettre. Les méthodes naturelles ou celles mécaniques comme la cape cervicale et le préservatif, masculin ou féminin, et les méthodes hormonales ou chimiques non nocives, ne posent pas de problème. Les contraceptions qui agissent après la fécondation suscitent la plus grande méfiance et l’opposition car elles sont abortives, quelle que soit l’une des quatre étapes de la vie où elles interviennent (œuf, embryon de moins de 120 jours, de plus de 120, personne).

S. : Les imams et certains érudits musulmans fuient les débats sur l’avortement, la PF !

I. T. : Cela peut être expliqué par les limites qu’ils ont. Le hadith dit : «Que Dieu bénisse celui qui connaît ses limites et s’y tient». Quand on ne s’y connaît pas, on doit se montrer prudent par rapport à une matière. Sinon, la question de l’avortement a été abordée par l’islam, la question des menstrues, etc. En ce qui concerne les questions de développement, ce ne sont pas des notions nouvelles mais elles sont actuellement souvent accompagnées d’une certaine idéologie occidentale. Quand les questions de développement viennent sous ce couvert, les musulmans peuvent se montrer circonspects. Les questions de développement, d’aménagement, d’assainissement, de santé nous concernent tous, elles ont été prises en compte par l’islam depuis le Prophète.

S. : Un message à l’endroit des couples musulmans qui hésitent à pratiquer les méthodes modernes de contraception ?

I. T. : La PF consistant en l’espacement des naissances doit être pratiquée par les musulmans parce qu’il s’agit de préserver la santé de la femme et assurer une certaine qualité d’éducation aux enfants. Mais la limitation des naissances n’est pas conforme à l’islam.

S. : A l’endroit des jeunes filles qui ne sont pas mariées, quel est le message de l’islam ?

I. T. : Les relations sexuelles hors mariage sont interdites. Les relations sexuelles ne sont permises, en islam, que dans le mariage strictement. Avant le mariage, pas de relation sexuelle, en dehors du mariage, pas de relation sexuelle pour tous.

S. : Vous êtes auteur d’un ouvrage «La sexualité du couple», pourquoi un livre sur la sexualité ?

I. T. : La rédaction de ce livre a commencé à la suite d’une question qu’un de mes amis m’a posée lors de son mariage à Fada N’Gourma. «Comme aujourd’hui c’est un événement exceptionnel pour moi, qu’est-ce que tu peux me conseiller ?». C’était le 22 mars 2007. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de document vulgarisé et qu’il y avait un besoin. C’est vrai qu’il y avait «La sexualité en l’islam au-delà des préjugés», «le mariage islamique bienheureux», mais peu connus. Mon livre a été édité en 2008 et réédité en 2012. Il a été bien accueilli.

J’ai encore des livres écrits, mais les fonds me manquent pour les éditer pour le moment. Il s’agit «De la grossesse à l’accouchement : principes et précautions», «Gestion et prévention des conflits conjugaux», «Islam et intérêt bancaire», «Comprendre et accepter l’épreuve dure».

 

Source: http://fasopresse.net/societe/4252-islam-les-methodes-de-contraception-autorisees-pour-espacer-les-naissances