En fait il y a une première catégorie de Hadîths où on voit le Prophète défendre de boire debout : ainsi, Anas ibn Mâlik et Abû Sa’îd al-Khudrî relatent que « le Prophète a défendu que l’on boive en étant debout » (rapporté par Muslim, n° 2024, 2025). D’autres références existent aussi.

Cependant, il y a un second groupe de Hadîths où on voit le Prophète boire debout en certaines occasions : Ibn Abbâs relate que le Prophète but l’eau de Zamzam en se tenant debout près de la Kaaba (rapporté par al-Bukhârî, n° 5294, Muslim, n° 2027) ; un jour, à Kufa, ‘Alî fit les ablutions ou une simple humidification des membres que l’on lave quand on fait les ablutions ; puis, debout, il but ce qui restait d’eau dans le récipient dont il s’était servi et dit : « Des gens n’aiment pas que l’on boive en étant debout ; j’ai pourtant vu le Prophète faire comme je viens de faire » (rapporté par al-Bukhârî, n° 5293).


Dès lors, différentes façons d’appréhender ces deux groupes de Hadîths ont vu le jour chez les ulémas :

1) Une première façon a été de dire qu’un des deux groupes de ces Hadîths a abrogé l’autre (naskh) :
1.1) l’avis de Ibn Hazm : les Hadîths montrant le Prophète buvant debout datent d’une période antérieure à celle où il a défendu de le faire ; dorénavant il est interdit de boire debout ;
1.2) l’avis de Ibn Shâhîn : ce sont les Hadîths où le Prophète a défendu de boire debout qui datent d’une période antérieure à celle où il a bu debout, puisque c’est lors du pèlerinage d’Adieu, près de la Kaaba, que le Prophète a bu ainsi l’eau de Zamzam, événement qui s’est déroulé à la fin de sa vie ; dorénavant il n’est pleinement autorisé de boire debout.
2) Une seconde façon d’appréhender ces Hadîths a été de chercher à donner préférence (tarjîh) à un de ces deux groupes de Hadîths sur l’autre : ceci est l’avis de Abû Bakr al-Athram, selon lequel les deux groupes de Hadîths sont bien sûr authentiques mais les Hadîths montrant le Prophète boire debout seraient d’un degré d’authenticité plus élevé (c’est pourquoi les Hadîths interdisant de boire debout ne figurent pas, à la différence de ceux montrant le Prophète le faisant, dans le Sahîh de al-Bukhârî) ; c’est donc à eux que al-Athram a donné préférence : il est permis de boire en étant debout.
3) Une troisième façon d’appréhender ces Hadîths a été de les concilier (jam’) les uns avec les autres :
3.1) l’avis de certains savants : boire debout est fortement déconseillé (mak’rûh illâ min dharûra), exception faite des deux cas de Zamzam et du restant de l’eau des ablutions, où cela est recommandé (mustahabb). Cet avis considère les Hadîths défendant de boire debout comme constituant la règle normale et communiquant un caractère fortement déconseillé, et les deux Hadîths concernant Zamzam et le restant de l’eau des ablutions comme communiquant une exception à cette règle ;
3.2) l’avis de al-Khattâbî, Ibn Battâl, an-Nawawî et d’autres : il est mieux (awlâ) de s’asseoir pour boire mais il est autorisé (jâ’ïz) de boire debout. Selon cette façon de voir, le Prophète a bu debout pour montrer que cela était autorisé (li bayân il-jawâz), les paroles dans lesquelles il a défendu de le faire étant dès lors à comprendre seulement comme un conseil (nah’yu irshâd wa ta’dîb) et non comme une stricte interdiction.

Exception faite de l’avis 3.1, qui est présenté dans Mirqât ul-mafâtîh (8/216-218), tous les autres sont visibles dans Fat’h ul-bârî (10/101-107). Ibn Hajar pense que c’est l’avis [3.2] qui est le plus pertinent.

Quel serait alors l’objectif ayant motivé ce conseil de la part du Prophète ? Certains ulémas pensent que cet objectif est d’ordre sanitaire, boire assis évitant certains éventuels désagréments pouvant se produire quand on boit debout, comme celui résultant du fait du risque d’ingurgiter l’eau trop vite ; certains ulémas pensent qu’il s’agit d’un objectif de « raffinement », boire assis étant acte plus serein par rapport au fait de boire debout.

Note : Nous avons vu qu’il y a, à propos de cette question de boire debout, des Hadîths des deux côtés : les uns interdisent, les autres permettent. Mais il arrive aussi, à propos d’autres questions du même genre, qu’il n’y ait que des Hadîths dont le texte contient un impératif ou un impératif négatif. Nous ne pensons pas qu’il faille alors se précipiter pour dire que étant donné qu’il y a un impératif, celui-ci induit forcément une obligation, et étant donné qu’il y a un impératif négatif, celui-ci communique obligatoirement une interdiction. Nous sommes d’avis qu’il s’agit, à l’instar de ce qu’a écrit ash-Shâtibî, de se référer aussi au degré d’importance, qu’il s’agit bien sûr de rechercher dans les références musulmanes elles-mêmes, et non d’établir d’après sa seule idée personnelle, que revêt le domaine que la règle du Hadîth concerne : adh-dharûriyyât / al-hâjiyyât / at-tahsîniyyât (cf. Nazariyyat ul-maqâssid ‘inda-l-imâm-ish-shâtibî, p. 227) : un impératif employé dans un Hadîth à propos d’une règle relevant des tahsîniyyât ne peut induire le même caractère que l’impératif employé à propos d’une règle relevant pour sa part des hâjiyyât.
Ibn ul-‘Arabî a fait à ce propos les éloges de Mâlik ibn Anas pour cette façon qu’il avait de procéder ; Ibn ul-‘Arabî écrit ainsi que certains savants « ne lisent pas les sources avec l’oeil de Mâlik, ne se tournent pas vers les massâlih, ne considèrent pas les maqâssid, et se cantonnent à la littéralité et à ce qu’ils en extraient » (Ahkâm ul-qur’ân 2/125).

Wallâhu A’lam (Dieu sait mieux).